Junji Ito 1ʳᵉ partie : les deux visages du mal

Junji Ito 1ʳᵉ partie : les deux visages du mal

Junji Ito est peut-être l’auteur horrifique de manga le plus célèbre et le plus prolifique. Son œuvre est dense et variée, et il est difficile de s’attaquer à un tel monument, tant son travail est considérable. Que ce soit au niveau des nouvelles (avec ses nombreux recueils tels que Le déserteur ou Fragments d’horreur) ou des œuvres plus importantes (on pourrait citer Sensor, Gyo ou encore Spirales).

Heureusement pour nous, les maisons d’éditions Mangetsu et Delcourt Tonkam ont eu l’excellente idée d’éditer la quasi-totalité de l’œuvre du maître dans de superbes éditions.

Vaste programme, car dans cet article, nous allons étudier deux de ces ouvrages ! Dans cette première partie, nous allons nous intéresser à un exercice que Junji Ito apprécie particulièrement : la récurrence.

Pour cela, nous allons analyser deux œuvres assez atypiques. Car bien qu’il ne s’agisse que de nouvelles, indépendantes les unes des autres, on retrouve néanmoins des personnages récurrents : Tomié et Soïchi. Ces deux œuvres constituent par ailleurs une porte d’entrée parfaite à l’univers de Junji Ito.

Attention : les deux œuvres sont réellement horrifiques et proposent des visions vraiment dérangeantes. Les aventures de Soïchi restent cependant plus légères, du fait de l’humour et de la maladresse du personnage central.

Ces deux visages de l’horreur sont racontés du point de vue de Junji Ito. Deux visions différentes, certes, mais pourtant très complémentaires…

Beauté fatale

Si Spirales (nous y reviendrons dans une prochaine partie) est sans nul doute l’œuvre la plus célèbre de Junji Ito, sa plus emblématique création reste Tomié.

Avec ce personnage, Junji Ito a créé une icône horrifique au même titre que Sadako (Ring) ou Kayoko (Ju-on The Grudge). Mieux encore, Tomié est au niveau de la légende urbaine, celle qu’on se raconte au coin du feu pour frissonner.

Débutées en 1987 et achevées en 2000, les aventures de Tomié ont suivi son auteur pendant plus d’une décennie, de ses tout débuts jusqu’à son style actuel (on remarque forcément une évolution dans le dessin).

Et on peut le comprendre tant ce personnage, pourtant très manichéen, est fascinant. Jeune femme à la beauté envoûtante et au regard glacial, Tomié représente le mal à l’état pur.

Son origine démoniaque vient de son assassinat par son petit ami de l’époque. Un crime qui fut couvert par toute sa classe, qui ira jusqu’à disséquer son corps pour le dissimuler (la scène de dissection, bien que non graphique, glace le sang). Tomié reviendra cependant pour torturer son bourreau et tous ceux qui ont pris part à son calvaire.

Si on peut comprendre sa motivation première et même être pris de pitié pour elle, Tomié ne restera pas sur cette vengeance mais continuera son jeu de massacre, projetant sa haine sur quiconque croise son chemin.

Mais, contrairement à d’autres monstres, Tomié ne se salit jamais vraiment les mains, ou très rarement, préférant semer le chaos et pousser les gens à la folie. Le résultat final étant souvent le meurtre ou le suicide de ses victimes.

Parlons d’ailleurs de ces dernières ! Si de prime abord Tomié semble cibler les jeunes hommes, en référence à son meurtrier, (et surtout parce que plus facilement manipulables et tombant plus aisément sous son charme vénéneux) personne n’est à l’abri de sa malveillance, ce qui la différencie de nombre de fantômes japonais qui ont en général un seul et même type de cible.

Dans la nouvelle La fille adoptive, elle s’en prendra à un couple de personnes âgées et dans la nouvelle Le petit garçon, carrément à un enfant. Cette dernière est d’ailleurs sûrement la nouvelle la plus terrifiante du tome…

Et si Tomié se montre implacable et sans pitié, elle est d’autant plus terrible qu’elle brille aussi par son intelligence, faisant preuve d’une cruauté assez malsaine voire sadique, que l’on retrouve par exemple dans L’auriculaire.

Et les rares personnes qui ne tomberont pas sous son charme ou qui essaieront de s’opposer à elle ne seront pas à l’abri de son ire.

Bien au contraire, Tomié, détestant par-dessus tout la résistance à son encontre, faisant alors preuve d’une ingéniosité perverse pour les faire plier (L’auriculaire, encore, Une réunion, Le photographe…) et si, ceux-ci parfois réussissent à déjouer ses plans, ce n’est que provisoire : Tomié est tout simplement inarrêtable, revenant inlassablement pour le simple plaisir de tourmenter.

Mais est-elle vraiment si invincible que cela ? Une personne ne serait-elle pas en mesure de contrecarrer ses plans définitivement ?

L’âge (très) ingrat

Si, il faut l’admettre, Soïchi est moins populaire que Tomié (rappelons que notre fantôme a eu le droit à quelques adaptations cinématographiques au Japon), le personnage n’en est pas moins extrêmement intéressant et peut être même plus complexe que Tomié.

En effet, Soïchi, lui, se révèle bien moins manichéen. Adolescent solitaire et sombre, il vit au milieu d’une famille aimante et compréhensive (à la limite de l’aveuglement, avouons-le). Par le biais de sa grand-mère décédée, Soïchi parle aux esprits et maitrise la magie noire. Cela lui permet de lancer des malédictions, de contrôler des démons et des fantômes… Bref, d’être le personnage le plus puissant, et de loin, de l’univers de Junji Ito.

Cependant, si le personnage est malveillant, il se révèle in fine plus gênant que réellement maléfique !

Déjà, son jeune âge ne lui permet pas encore un contrôle total de ses pouvoirs. De plus, contrairement à Tomié qui est purement démoniaque, Soïchi conserve une part d’humanité dans son cœur, ce qui lui permet de faire preuve d’empathie (dans L’anniversaire de Soïchi, par exemple) et surtout, bien qu’il possède une forme de ruse assez prononcée, Soïchi n’est pas intelligent et se trouve en réalité être assez facilement manipulable.

Il est d’ailleurs amusant de voir la différence fondamentale entre Tomié et Soïchi : l’amour. Tomié veut qu’on l’aime avec une dévotion religieuse, avec obsession et folie. Soïchi, lui, recherche un amour sincère, il veut être aimé pour ce qu’il est, mais son manque de connaissance et d’application des codes sociaux lui ferme la porte de cette sincérité…

Ce qui ajoute une autre différence majeure entre les deux personnages (et entre les deux œuvres par extension), c’est l’humour.

Si Tomié en est quasiment dépourvu, Soïchi en regorge ! Ce qui a pour effet de renforcer le côté farceur et malsain du personnage.

Des éditions monstrueuses

Pour se plonger dans ces œuvres, Mangetsu nous propose des éditions tout simplement magnifiques !

Si l’éditeur nous habitués à des ouvrages de qualité pour la collection Junji Ito, celui-ci nous gratifie d’un travail encore plus remarquable qu’à l’accoutumée.

Choix du papier, couverture cartonnée, préface (d’Alexandre Aja pour Tomié, réalisateur de La colline a des Yeux, Haute tension, ou encore de Marius Chapuis pour Soïchi, journaliste et éditorialiste chez Libération), les deux livres proposent les aventures de Tomié et Soïchi dans leur intégralité. Cela représente donc une sacrée somme de pages !

Le tout, rassemblé dans une édition exceptionnelle qui trouvera sa place dans toute bibliothèque digne de ce nom. Si vous voulez découvrir ou redécouvrir ces chefs d’œuvres de Junji Ito, les éditions Mangetsu font vraiment office de « must have ».

Un rendez-vous qui ne vient pas

Junji Ito a teasé il y a longtemps un crossover entre ses deux plus fameuses créations, au détour d’une case… Honnêtement, il y a peu de chances que cette vision se concrétise, mais cela a tout de même alimenté nombre de fantasmes sur la finalité de cette rencontre.

Car qui d’autre que Soïchi serait suffisamment puissant pour contrecarrer définitivement Tomié ? Cependant, Soïchi est naïf. Et, face à la déesse de la manipulation, il ne tiendrait pas plus de quelques instants avant de succomber à ses charmes.

S’allieraient-ils pour mener le monde à sa perte ? Se détruiraient-ils mutuellement ? Tant de possibilités qui n’auront jamais de réponses autre que spéculatives ! (Pour l’instant du moins…!) Mais n’est-ce pas là le propre des grandes œuvres que de continuer de questionner longtemps après leur fin ?

Je vous souhaite bonne lecture et si vous souhaitez découvrir des relations humaines plus sympathiques, pourquoi ne pas vous laissez tenter par Cursed princesse club ?

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