Junji Ito, 3ème partie, l’horreur en nouvelle

Junji Ito, 3ème partie, l’horreur en nouvelle

Junji Ito est un auteur qui se démarque grandement par sa versatilité. Comme nous avons pu le voir dans la deuxième partie, consacrée à ses histoires longues, Junji Ito s’attaque à toutes les grandes lignes de l’horreur ou presque. Mais le plus gros de son génie et de son travail, celui qui prouve sans contestation possible son adaptabilité à un genre ou un autre, se situe dans ses recueils de nouvelles.

En effet, le format court lui impose beaucoup moins de contraintes que l’écriture d’une histoire bien plus longue. Ses histoires semblent fuser comme au rythme de ses idées et dans les douze recueils sortis chez nous pour l’instant , nous avons un aperçu colossal de sa polyvalence. Le format court lui permet ainsi de proposer des histoires parfois extrêmement construites, parfois quasiment réduites à l’état de concept.

Cette générosité, bien que toujours honnête, se révèle toutefois à double tranchant : force est de constater que si la forme est constamment bonne (et ce, dès les débuts de Junji Ito), le fond, lui est parfois plus irrégulier.

À relativiser toutefois, car si certaines histoires tutoient l’excellence, aucune n’est foncièrement mauvaise. Mais il est cependant compliqué pour certaines nouvelles moyennes de passer après des quasi chef d’œuvres.

Dans cette troisième partie, nous allons donc voir ensemble l’intégralité de ses recueils, sortis à ce jour en France, et par extension, l’intégralité de ses nouvelles, éditées par les éditions Mangetsu et Delcourt Tonkam.

 Et s’il y a une chose qui ne change pas, c’est toujours bel et bien la qualité éditoriale de ces deux maisons ! Je détaillerais pour chacun des tomes, mais nous sommes encore une fois face à de magnifiques ouvrages, en termes de qualité et d’objet, nous sommes clairement dans le (très) haut de gamme.

Histoires courtes

Nous attaquons donc avec le recueil Histoires Courtes, seul opus des éditions Delcourt Tonkam. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que celui-ci est somptueux.

De mon point de vue, je crois même que c’est le plus beau livre de la maison d’édition : comme d’habitude, choix du papier, couverture et protection impeccable, mais en plus nous avons un poster recto verso, plusieurs pages couleurs, des illustrations inédites…

Vraiment un très, très beau manga. Mais ne dit-on pas qu’il ne faut pas juger un livre sur sa couverture ? Eh bien là, pas de souci, on peut tranquillement : le recueil, en plus d’être sublime, propose d’excellentes histoires.

On démarre très fort avec Des millions de solitaires, nouvelle très inquiétante, possédant une ambiance rapidement anxiogène. Dans celle-ci, nous suivons Mishio, jeune homme timide et asocial, alors que sa ville est la proie d’événements aussi inexplicables que morbides : des gens disparaissent et sont retrouvés morts et cousus les uns aux autres…

Une très bonne histoire qui culmine dans son climax, véritablement terrifiant et malsain.

On enchaîne ensuite avec La chaise humaine, tirée d’une œuvre d’Edogawa Ranpo, précurseur dans le thriller japonais (ce ne sera pas la seule d’ailleurs à être tirée d’une nouvelle d’Edogawa Ranpo dans ce recueil !).

Dans cette nouvelle, une jeune écrivaine s’arrête par hasard chez un ébéniste pour lui commander un fauteuil confortable. Au fil de leur conversation, celui-ci lui montre une antiquité : un fauteuil rembourré ayant appartenu à une romancière.

L’ébéniste commence alors à raconter l’étrange histoire de ce fauteuil… Très chouette scénario, prenant et, fatalement, intrigant du début à la fin. La narration alternant entre deux époques, cela crée un dépaysement rafraîchissant et bienvenu.

Vient ensuite  La Vénus invisible, histoire assez étonnante dans la mesure où Junji Ito s’attaque moins à l’horreur qu’à la science fiction pure. Même si l’horreur persiste en arrière fond, on a surtout une aventure mélancolique, dans laquelle une jeune femme, Mariko, d’une grande beauté et assez candide, passionnée d’astronomie, devient invisible en se rapprochant des gens.

Petit à petit, elle devient une source d’obsession pour tous ceux qui la côtoient. Une nouvelle vraiment bonne mais assez déprimante, qui rappelle beaucoup Tomié par certains aspects.

Ensuite, Juji Ito nous offre La lécheuse, intrigue purement horrifique, et beaucoup plus classique : une femme à la langue difforme et disproportionnée traque les gens dans la rue pour les lécher, et les empoisonner au passage ! La jeune Miku, victime de la créature, décide de la pourchasser pour s’en débarrasser une bonne fois pour toute… Si l’histoire se suit sans mal, grâce à un antagoniste terrifiant et des protagonistes attachants, cette chasse aux monstres bien que plaisante reste relativement oubliable.

Nous avons ensuite droit à Le maître Kazuo Umezz et moi. Excellente nouvelle, étonnamment drôle, Junji Ito tente l’autobiographie pour nous raconter comment, encore enfant il a découvert le travail de Kazuo Umezu, grand maître du manga horrifique. En particulier L’école emportée, et comment celui-ci l’a influencé pour tout le reste de sa vie. Même si l’histoire ne ressemble à aucune autre, la bonne humeur présente tout du long, l’humour et l’originalité en font l’une des meilleures histoires courtes de Junji Ito.

Nous retrouvons une adaptation d’Edogawa Ranpo avec Un amour inhumain. Le constat est clair, Junji Ito adapte excellemment bien des écrits qui ne sont pas les siens (ce dont on se doutait après le fantastique La déchéance d’un homme). Un amour inhumain nous propose l’histoire d’un couple, fraîchement marié, mais dont l’époux a un comportement de plus en plus étrange. Sa femme le soupçonne d’avoir une liaison…

Cette aventure particulièrement malsaine met en image (très sobrement ceci dit) des scènes érotiques, chose particulièrement rare dans le travail de Junji Ito. La tension monte crescendo et l’ambiance s’alourdit extrêmement vite. Une excellente nouvelle, bien qu’assez choquante, surtout après la bouffée d’air frais qui la précède.

Adaptation cette fois ci d’une histoire de Robert Hichens avec Le professeur Kirida possédé. Nous suivons cette fois Yuho Hayama, romancière en panne d’inspiration, qui en fouillant dans le débarras familial retrouve le journal d’une aïeule racontant sa rencontre avec Tôgai Kirida.

Ce spécialiste de littérature japonaise, et misanthrope reconnu, étant mort dans d’étranges circonstances… Encore une excellente nouvelle, assez atypique dans son traitement mais passionnante. Le récit reste sur le fil ténu situé entre l’humour et l’horreur et s’acquitte très bien de sa tâche. Une bonne surprise qui, bien qu’effrayante, reste assez légère.

Nous enchaînons sur un vrai chef d’œuvre avec Le mystère de la faille d’Amigara, l’une, peut-être la plus connue des nouvelles du maître. Un séisme a ouvert une faille gigantesque dans le mont Amidagara. Le jeune Ôwaki décide de s’y rendre. En chemin, il rencontre Yôshida, une jeune femme, et décide de faire la route avec elle. Sur place, ils s’aperçoivent que la faille comporte un nombre conséquent de silhouettes humaine taillées dans ses flancs, semblant inexorablement appeler les gens aux alentours… Ambiance de fin du monde dans cette histoire tendue de bout en bout. Du grand Junji Ito.

La triste histoire d’un père de famille est une histoire sympathique mais anecdotique. Trop courte pour la résumer, elle montre bien le sacrifice que peut faire un homme pour sa famille.

Nous concluons le recueil avec L’enfant posthume. Une histoire dérangeante mais assez drôle, avec un enfant qui représente la vengeance d’outre tombe d’une femme bafouée. Nouvelle qui se lit sans déplaisir, mais en deçà globalement de la qualité des autres histoires du manga. Notons tout de même une ambiance générale qui n’est pas sans rappeler celle des comics E.C Comics (Tales from the crypt, Haunt of fear ou Vault of horror…)

Finalement, ce recueil est un excellent ouvrage, les histoires sont a minima très correctes et l’ouvrage se lit facilement et sans le moindre déplaisir. Rajoutons à ça une édition somptueuse comme je l’ai déjà mentionné et vous avez un Junji Ito du meilleur cru.

L’amour et la mort

Dans les recueils de nouvelles proposées par les éditions Mangetsu, certains pourraient être qualifiés « d’atypiques ». C’est clairement le cas de L’amour et la mort.

J’ai eu du mal à le classer pour être honnête, car sur les cinq histoires proposées, l’une correspondrait au style de la novelas, soit une nouvelle longue ou un roman court et de ce fait, aurait pu avoir sa place dans la deuxième partie (ce qui sera également le cas pour une autre histoire dans un autre recueil), et une autre correspond à la récurrence, dont j’ai parlé dans la première partie.

Finalement, j’ai décidé d’en parler ici, l’ensemble se rapprochant quand même plus d’un recueil. Excellent d’ailleurs, même si je reste dubitatif pour certaines histoires. Au niveau de l’édition, au risque de paraître redondant, c’est magnifique.

Les éditions Mangetsu nous ont systématiquement habitué à de la qualité, et c’est toujours le cas ici. Et, hormis pour détailler les différents bonus, je ne reviendrai pas sur la qualité ; tous les autres ouvrages dont nous allons parler partagent la même excellence éditoriale : les livres sont simplement exquis, convenant parfaitement aux fans de Junji Ito comme aux collectionneurs !

 Le livre s’ouvre sur une préface très intéressante de Stéphane du Mesnildot, et nous commençons notre périple avec la nouvelle qui donne son titre au recueil : L’amour et la mort. Histoire longue, découpée en quatre chapitres et un épilogue (comme autant de légendes urbaines ayant toutes pour variations l’amour et la mort (étonnant !) avec un bon supplément de folie obsessionnelle).

Cette narration est exceptionnelle, avec ses femmes de tout âge qui, à la recherche de l’amour, se jettent dans un rituel traditionnel qui consiste à demander son avenir amoureux, à la croisée d’un chemin.

Mais celui qui vient parfois leur répondre n’a pas toujours de bonnes intentions… Sombre, inquiétante, franchement flippante par moment d’ailleurs, sinistre, et pourtant incroyablement poétique et mélancolique, L’amour et la mort est l’une, si ce n’est, la plus « belle » œuvre de Junji Ito ( en terme d’écriture, j’entends). L’auteur nous offre l’une des ses créations les plus terrifiantes avec « le beau jeune homme de la croisée des chemins ».

Nous attaquons ensuite la deuxième histoire, en deux chapitres, qui nous présente la famille Hikizuri avec L’étrange fratrie Hikizuri.

 Et c’est là que je ne vais pas forcément me faire des amis, tant je sais que cette famille compte nombre de supporters, et à quel point elle est appréciée. Mais les aventures de cette famille qui n’est pas sans rappeler la famille Addams ou pour rester dans l’univers de Junji Ito, Soïchi, me laisse complètement indifférent. Je vois les qualités, j’arrive à comprendre ce qui peut plaire, mais je n’adhère tout simplement pas à leurs aventures.

J’ai l’impression avec les Hikizuri que Junji Ito n’arrive pas à se positionner, entre absurde, humour, horreur… Autant, il y arrive parfaitement dans d’autres œuvres, autant là, je trouve ça extrêmement laborieux. Les différents évènements n’arrivent pas à me convaincre, je n’éprouve aucune sympathie pour aucun des personnages, et les conclusions me semblent a minima simplistes…

Cependant, bien que n’y accrochant pas, j’ai conscience qu’ils ont un large public, qu’ils sont populaires et je ne peux que vous encourager à essayer leurs aventures. Gageons que si vous adhérez à leur histoire, vous passerez un très bon moment.

Ensuite, nous revenons à un récit sur un format plus classique avec La maison des douleurs fantômes. Nous suivons un jeune homme qui décroche un emploi dans une immense résidence. Le fils des propriétaires souffrent de douleurs de plus en plus violentes, sans motif apparent… Une chouette histoire, qui prend le temps de s’installer et qui est vraiment glaçante. La révélation, bien qu’un peu prévisible fait froid dans le dos, surtout pour les conséquences qui en découlent. Une vraie bonne nouvelle d’horreur.

Vient ensuite Les côtes. Encore une fois, une très bonne histoire, un peu mineure comparée au reste du manga mais d’excellente facture tout de même. Le récit nous présente une jeune femme, complexée par son physique et décidant, pour affiner sa silhouette, de se faire enlever des côtes. Mais elle s’aperçoit vite que toute personne ayant subit cette opération se met à entendre une musique lugubre et entêtante. Une nouvelle d’horreur bien menée possédant un pitch très original.

Nous achevons le manga par une histoire très sympathique, bien qu’ayant une base scatologique : Le souvenir de l’étron plus vrai que nature. Scénario totalement à part, car Junji Ito, à l’instar de sa nouvelle Le maître Kazuo Umezz et moi, nous raconte une anecdote d’enfance, et comment, alors qu’il visitait une foire, il est littéralement tombé sous le charme de crottes en plastiques plus vraies que natures. En quelques pages, il nous raconte son dilemme entre l’envie de l’avoir pour faire des farces et la honte de devoir l’acheter. Une aventure vraiment plaisante, qui rend l’auteur d’autant plus humain et sympathique.

Une fois les histoires terminées, nous avons le droit à une analyse très intéressante de L’amour et la mort par Morolian.

L’amour et la mort est un excellent recueil de nouvelles que je ne peux que vous conseiller.

Zone fantôme 1 et 2

 J’ai regroupé les deux tomes de Zone Fantôme ici. Et pour faire simple, rapide et concis : c’est génial.

Bon, j’imagine qu’un peu de développement s’impose, alors allons-y.

En premier point, il y a peu d’histoires, quatre par tomes, et comme pour L’amour et la mort, nous sommes plus proche de la novelas que de la simple nouvelle.

Et quelles novelas nous avons là ! Junji Ito se régale et nous régale avec des histoires particulièrement intenses ! Si je devais juste mettre un bémol (restons objectif), certaines fins sont assez abruptes (ce qui est assez récurrent chez Junji Ito, il faut avouer qu’il a parfois du mal à conclure). Nonobstant cette remarque, pour le reste c’est un quasi sans faute.

Passé une introduction de Fausto Fasulo (que les lecteurs de Mad Movies connaissent bien !), nous entrons dans le vif du sujet avec Le coteaux aux pleureuses. Nous suivons un jeune couple, Mako et Yusuru qui, en se promenant dans la campagne japonaise peu de temps avant leur mariage, tombent sur des funérailles.

Une femme est là, pleurant toutes les larmes de son corps. Le couple apprend que c’est une pleureuse, une femme dont le travail consiste à aller dans les enterrements pour pleurer le défunt.

Mais la femme du couple, Mako, semble extrêmement touchée par le spectacle, à tel point qu’elle ne peut plus s’arrêter de pleurer… Très bonne histoire, avec une vibe « Silent Hill » par moment, Le coteaux aux pleureuses, bien qu’étant la plus « faible » du recueil, est une parfaite entrée en matière.

La seconde histoire, Maudite madone, aborde un thème finalement peu présent dans l’œuvre de Junji Ito : la religion. Et surtout la religion catholique. Maria est une jeune fille qui étudie dans une école religieuse.

Le prêtre et sa femme semblent voués un culte très spécial à la Vierge Marie. Surtout la femme qui se met régulièrement en scène, habillée comme la Sainte Vierge. Maria s’aperçoit très rapidement que celle-ci terrorise les autres élèves, et que du sel semble s’écouler de leurs oreilles…

Histoire assez drôle au second degré, terrifiante, glauque et malsaine au premier. Un récit vraiment dérangeant, et qui prend un tournant inattendu assez rapidement. Excellente nouvelle, mais les deux qui suivent la surpasse.

La rivière spectrale d’Aokigahara nous emmène dans la forêt du même nom, célèbre pour le nombre de personnes y allant pour se suicider.

C’est le cas du jeune couple (oui, Junji Ito aime bien les jeunes couples !) que l’histoire nous présente. Norio est atteint d’une maladie dégénérative incurable. Il se rend donc dans la forêt pour mettre fin à ses jours, accompagné par sa petite amie Mika, qui veut l’accompagner dans la mort.

En cherchant le lieu idéal pour en finir, ils tombent sur une grotte, entourée d’arbres étranges, et ressemblant à une tête de dragon. La nuit venue, un flot spectral s’en échappe, et happe Norio. Celui-ci disparaît dans le tumulte mais revient le lendemain, se sentant mieux que jamais.

Il devient vite accro à cette rivière spectrale, se sentant de mieux en mieux, mais au détriment de son apparence qui devient de plus en plus étrange… Mika essaie alors de le ramener avec elle, en ville…

Histoire tragi-comique, encore une fois à deux lectures, Junji Ito se sert d’un récit métaphorique pour nous parler des addictions. Une nouvelle passionnante, absurde, poétique… Drôle parfois, triste souvent, dérangeante tout le temps… À lire absolument.

Et on termine avec Léthargie. La meilleure nouvelle du manga, pourtant la compétition était rude. Léthargie est tout simplement l’une des meilleures histoires de Junji Ito tout court. Des meurtres violents ont lieu mais le tueur reste insaisissable.

Cependant, un jeune homme Takuya, est persuadé de savoir qui est le meurtrier : lui-même. En effet, ses rêves le mettent à la place du tueur de façon extrêmement réaliste, et même s’il ne se rappelle de rien, les détails ne peuvent provenir que de l’assassin… Une nouvelle vraiment quasi parfaite. Et vraiment flippante.

Ce tueur qui fredonne des berceuses au moment de l’acte est tout à fait terrifiant. L’aventure se suit comme un polar, un peu comme un épisode de la série Au-delà du réel. Prenante, excitante, terrifiante, cette œuvre conclut l’ouvrage de la meilleure des manières et nous rappelle sans l’ombre d’un doute à quel point le maître sait mettre en place une intrigue passionnante.

Nous finissons avec une autre analyse très intéressante de Morolian, et nous pouvons passer au tome deux.

Outre une présentation d’Olivier Ledroit et une pertinente conclusion de la part de Morolian, nous avons encore des histoires de très bonne facture, marquées du sceau du nihilisme le plus sombre (hormis pour une, mais je vais y revenir).

Le manga débute avec Le démon noir, où un homme et son fils, ainsi que deux femmes de ménages, habitent dans une maison perpétuellement couverte de poussière noire. Malgré leurs efforts pour la nettoyer, la poussière continue de s’insinuer dans leur quotidien. Mais d’effroyables secrets commencent à remonter à la surface… Vous en avez peut-être l’habitude, mais c’est une histoire très bien menée, avec plusieurs rebondissements très intéressants. Bien, bien flippante avec une ambiance de fin du monde laissant peu d’espoir pour nos protagonistes.

Ensuite, vient Le village de l’éther. Un jeune homme et ses amis se rendent dans le village natal de celui-ci. Très vite, ils s’aperçoivent que des mécanismes singuliers semblent régir la vie du village, et l’angoisse débute pour eux quand ils se rendent comptent que la mécanique fusionne un peu trop avec l’organique…

Encore et toujours, excellente nouvelle, portée par l’obsession scientifique notamment sur la recherche du mouvement perpétuel. L’histoire rappelle pas mal Gyo sur certains points, tout en s’en affranchissant suffisamment pour ne pas être dans la redite.

Bon… Alors, l’histoire qui va suivre est loin d’être mauvaise, et même assez surprenante tant elle a un fond joyeux in fine, mais je n’accroche toujours pas. Nous avons donc une nouvelle aventure de la famille Hikizuri avec L’oncle Ketanosuke. Une jeune fille loge chez les Hikizuri et est témoin de leur différents rituels, le dernier consistant à essayer de ressusciter un vieil oncle disparu. L’histoire est sympatoche, mais elle fait un peu tache dans le reste du manga. Ceci dit, elle peut faire office de bouffée d’air frais entre deux histoires particulièrement salées. Et les fans de la fratrie Hikizuri se régaleront, sans l’ombre d’un doute.

Et nous terminons avec Les carapaces du marais Manju. À titre personnel c’est ma deuxième nouvelle préférée dans l’œuvre de Junji Ito (la première viendra plus tard !). Une histoire toujours bien sombre et sans espoir, dans lequel des corbeaux tuent des tortues en les éclatant au sol. Hors, ces tortues portent sur leur carapace ventrale des motifs ressemblant à des visages. Un jeune homme, en violent conflit avec son père qui le méprise, décide de se servir des corbeaux et des restes des tortues pour fomenter une vengeance… Encore un récit immanquable de la part de Junji Ito, mais cela est habituel. En tout cas, c’est une nouvelle parfaite pour conclure deux tomes de nouvelles de premier ordre.

Bien… Nous allons maintenant parler de recueils de nouvelles pures (à une exception près !). Ce qui était déjà le cas jusqu’ici, mais dans les précédents ouvrages, il y avait une « thématique » qui ressortait de chaque volume, et surtout dans les tomes qui vont suivre, chacun correspond à une période d’écriture. Le déserteur par exemple, correspond à des histoires écrites à la fin des années 80 quand Fragments d’horreur correspond aux années 2010.

Le déserteur

Ce tome correspond aux premières nouvelles écrites par Junji Ito. La préface est de Pawel Kozminski (développeur de jeux d’horreur dont son œuvre principale, World of horror, baigne littéralement dans l’univers de Junji-sensei) et Morolian nous gratifie encore une fois de son excellente analyse en fin de volume.

Bio House nous présente Kubota, une jeune secrétaire qui va dîner chez son patron, pour un repas pour le moins particulier… La première chose qui surprend c’est le graphisme. Le dessin, bien que déjà beau, est à des années lumières de ce que Junji Ito a pu produire par la suite.

Ce n’est bien sûr pas un point négatif, mais c’est très intéressant de voir l’évolution d’un artiste et cette histoire en particulier nous montre l’écart de progression entre le Junji Ito des débuts et celui de maintenant. Cela est valable pour la forme et la remarque vaudra globalement pour tout le recueil.

Pour le fond, nous avons une nouvelle autour du thème du vampirisme plutôt originale, assez gore et plaisante à lire (et je suis près à parier qu’elle a dû inspirer Just Philippot pour son film La nuée). Une entrée en matière très réussie, possédant une touche d’humour bien cynique.

Comme deux gouttes d’eau est une histoire plutôt intéressante, quoique classique, et il faut l’avouer assez confuse. Ce scénario de la nouvelle élève qui suit la plus belle fille de la classe pour petit à petit prendre son apparence aurait pu être vraiment glaçante, mais même si elle se lit facilement, les ficelles scénaristiques sont un peu trop grosses pour en faire un récit mémorable.

Un endroit où dormir relève le niveau. Un homme souffrant d’insomnies se confie à une amie : quand il s’endort, son double des rêves essaye de prendre sa place dans le monde réel. Son amie lui propose alors de venir dormir chez elle, pour veiller sur lui dans son sommeil. Une bonne nouvelle, encore une fois assez graphique (Junji Ito versait plus dans le gore et le sadisme à ses débuts ; et même s’il continue à être graphique, il était à l’époque un tantinet moins subtil !), on frôle le body horror à de nombreuses reprises, et on sent avec celle-ci l’envie de Junji Ito d’achever ses histoires d’une manière plus sombre.

La théorie du mal  est une courte histoire déprimante et nihiliste. Elle s’ouvre sur le suicide d’une jeune fille. Morimoto, un camarade de classe, qui avait discuté avec elle une heure auparavant et l’avait trouvé joyeuse décide d’enquêter sur sa mort, une cassette ayant enregistrée la-dite heure… Une nouvelle d’une grande noirceur, vraiment désespérante mais excellemment bien écrite. Du grand Junji Ito.

De longs cheveux sous le toit amorce les récits qui font vraiment peur. Chimié, une adolescente, se fait plaquer par son petit ami, et rentre chez elle, déprimée…

Sa sœur lui annonce alors que des rats ont élu domicile dans leur grenier… Chimié, qui s’était laissé pousser les cheveux pour plaire à son ex petit ami, demande à sa sœur de lui couper sa chevelure, surtout après qu’un rat se soit pris dedans.

Mais quand sa sœur, Erié, vient pour lui couper les cheveux, elle trouve Chimié morte, décapitée, la tête ayant disparue… Une bonne histoire de fantômes vraiment effrayante, la plus value de cette nouvelle étant la grande justesse avec laquelle Junji Ito dépeint la tristesse de la jeune fille après sa rupture. Très bien !

Notre amour en trois actes est une histoire presque parfaite, incroyablement originale. Dans une troupe de théâtre, l’un des acteurs est un véritable bourreau des cœurs, séduisant les jeunes filles et les éconduisant au gré de ses envies.

En rompant avec elles, il leur laisse une cassette vidéo de lui, pour qu’elles puissent penser à lui. Mais sa dernière conquête apprécie très peu la rupture… L’aventure se déroule en flash-back, avec un souci du détail qui force le respect.

Si Junji-Sensei est le maître de l’horreur, il est aussi très, très doué pour décrire les tranches de vie de ses protagonistes (trait qu’il partage avec un autre maître de l’horreur, qui n’est autre que Stephen King !).

Et dans cette nouvelle, il le fait à merveille ! La deuxième meilleure histoire du recueil (la première arrive bientôt !).

Et ce n’est pas L’épée de réanimation. Lors d’une chasse aux feux follets, Muramase, rencontre un homme qui semble les aspirer avec une épée. Cet homme se trouve être un résurrecteur, personne pouvant ressusciter les morts. Histoire franchement moyenne, malgré une bonne base, très verbeuse pour pas grand-chose, qui s’éparpille et finalement ressemble plus à un shonen peu inspiré qu’à une histoire horrifique. Ce n’est clairement pas la nouvelle qu’on retiendra.

Et on enchaîne avec Dans le cœur d’un père. Et cette nouvelle est aussi déceptive mais pour d’autres raisons : elle est frustrante. Ce récit de possession et de malédictions familiales est pourtant génial dans ses deux premiers tiers, possède un twist vraiment impeccable, faisant monter une tension crescendo au fil des pages… mais qui s’essouffle dans sa dernière partie laissant un goût vraiment amer une fois l’aventure finie.

Cette œuvre est trop longue pour son propre bien et aurait gagné à être raccourcie (surtout au niveau de la fin qui tire vraiment en longueur). Cette histoire aurait pu être l’une des meilleures de son auteur, finalement elle devient l’un des ses plus grands rendez vous manqués… Vraiment dommage. Les prochaines, heureusement, relèvent haut la barre.

L’insoutenable labyrinthe est une excellente histoire, bien flippante. Noriko veut remonter le moral de son amie Sayoko, qui ne va plus en cours, en lui proposant une randonnée en montagne. En chemin, elles rencontrent des moines. L’un d’eux les aborde et leur propose de venir passer la nuit dans leur monastère…

Le récit fait monter doucement la tension, on sent vite que quelque chose cloche, malgré la politesse et la bienveillance des moines… Très angoissant, le scénario fait beaucoup penser au folk horror, chose que reprendra Junji Ito dans son magnifique Sensor.

Vient ensuite Le village des sirènes, nouvelle versant dans un fantastique plus classique. Des centaines de nourrissons disparaissent. Parallèlement à ça, des hurlements se font entendre quand la nuit tombe. Kyôichi, un jeune homme, essaie de mener l’enquête quand il se rend compte que ses parents pourraient être liés à tout ça. Une bonne histoire, très dérangeante, qui se lit bien malgré la dureté du propos. Elle verse cependant dans des effets un peu « faciles », mais reste vraiment sympa.

La sadique… Que dire ? Mon top 1 de toutes les histoires de Junji Ito confondues, c’est celle-là. D’un humour très noir du plus bel effet, cette nouvelle prouve que Junji Ito n’excelle jamais aussi bien que dans la simplicité. Ce récit de vengeance, dans laquelle une fillette torture quotidiennement un jeune enfant, avant de le retrouver par hasard une fois adulte et tomber sous son charme est d’une perversion mentale assez remarquable. Malsaine et drôle, elle comporte de plus la page finale la plus terrifiante (à mon sens) de l’œuvre du maître. Je la recommande absolument. Un pur bijoux noir.

Et on finit avec Le déserteur, l’histoire qui donne son titre au recueil et on peut le comprendre. Furukawa a déserté l’armée, et se réfugie dans le grenier de son ami d’enfance. Mais la guerre s’intensifie, les contrôles sont de plus en plus réguliers et Furukawa se rapproche de plus en plus de la sœur de son ami… Je ne peux pas en dire beaucoup plus, pour ne rien spoiler, mais la narration est vraiment passionnante et le fait qu’elle s’inscrit dans un contexte guerrier, pousse Junji Ito à écrire sur des interactions humaines, domaine dans lequel il excelle. On conclut donc le recueil avec une très bonne nouvelle, encore une fois.

Cet opus est, malgré certaines histoires un peu en deçà, un excellent manga. Ce sont parmi les premières histoires de Junji Ito, et on sent que l’auteur cherchait encore un peu son style. Ceci dit, le résultat final est très bon, et on en redemande.

Décapitées

Le manga s’ouvre avec une préface de Patrick J. Gager et s’achève avec la traditionnelle analyse de Morolian. Dans ce manga, nous avons des histoires majoritairement écrites dans le début des années 90.

Et disons le tout de suite, ça évitera les redondances : si Le déserteur possédait quelques récits un peu confus et en dessous du reste (très peu ceci dit, et toujours au dessus du tout venant, ça reste Junji Ito à la barre !), Décapitées lui, ne propose que des trames excellentes.

Du début à la fin, les textes sont admirablement écrits, avec souvent une bonne pointe d’humour noir et une ironie mordante. Voyons les ensemble.

On commence par Le  fil du destin. Dans cette nouvelle, un jeune homme se fait brutalement quitter par sa petite amie, ce qui, croyez le ou non, n’est pas le pire qu’il va lui arriver. En effet, de mystérieux fils commencent à apparaître sur sa peau.

D’abord relativement discrets, ils vont vite devenir de plus en plus envahissants… Comme je l’ai dit et comme je le répéterai, l’histoire est très bien écrite, se laisse suivre avec un plaisir sadique, jusqu’à la fin. Bien qu’assez angoissante, elle est contrebalancée par une petite dose d’humour bien sombre.

Le vieux vinyle entre clairement dans les meilleures histoires de Junji Ito. Deux amies se disputent à cause d’un mystérieux disque sans nom que l’une d’elle possède. Celui-ci provoque une obsession maladive chez ceux qui écoute sa musique entêtante. La dispute prend des proportions dramatiques…

Encore une fois, nous sommes clairement sous le sceau de l’ironie avec cette nouvelle, et encore une fois, on sent bien que la plume de Junji Ito s’affine. Pas spécialement effrayante, du moins pas autant que d’autres, elle n’en reste pas moins passionnante et s’impose clairement comme l’une des plus abouties de son auteur.

Une infinie générosité met très mal à l’aise. Un jeune garçon de quatorze ans se promène en ville et distribue des cadeaux, notamment aux jeunes enfants. Cela est vu d’un très mauvais œil par les adultes, d’autant que les cadeaux sont très étranges : des petites figurines en bois ressemblant aux habitants de la ville. Bonne histoire, prenante et avec un dénouement assez inattendu !

Vient ensuite Le pont. Une jeune femme se rend chez sa grand-mère. À peine arrivée, elle se fait traquer par un mort-vivant. Quand elle raconte sa terrible rencontre à son aïeule, celle-ci ne semble pas étonnée…

On retourne sur un registre plus horrifique avec cette histoire, mais également, malgré l’horreur, à quelque chose de plus mélancolique et poétique. L’intrigue laisse un goût doux-amer une fois terminée, mais confirme toujours un peu plus la capacité de Junji Ito à raconter des histoires belles sous couvert de l’horreur.

Après Le cirque est là !… N’eut été La sadique, j’aurais mis cette histoire en première place de mes nouvelles préférées. Deux jeunes enfants se font toute une joie d’aller voir le grand cirque qui vient de débarquer en ville. Mais l’émerveillement laisse vite place à l’effroi quand l’intégralité des numéros ratent complètement et de façon dramatique.

Cette intrigue est, malgré (ou grâce à) l’horreur des situations, tout simplement jubilatoire. Bien qu’elle puisse sembler mineure car plus légère, il n’en est rien. Drôle du début à la fin, elle n’est pas sans rappeler les grandes heures des Contes de la crypte. Probablement l’une des plus drôles de Junji Ito et par conséquent, l’une des meilleures.

Avec Le nid de frelons on revient à l’horreur (même si l’humour pointe le bout de son nez, surtout au début, c’est un faux semblant). Un jeune homme est passionné par les guêpes, frelons et autres, au point d’en délaisser sa compagne.

Quand il découvre un nid de frelons en parfait état mais que celui-ci est subtilisé par un jeune garçon très étrange, il décide de le suivre. Histoire modernisée d’une légende horrifique japonaise, Le nid de frelons est également un banger en puissance. Vraiment flippante, son intrigue monte crescendo et l’angoisse de concert. Très, très bonne nouvelle.

Et tout aussi bonne, voici Les plans. Un jeune couple en promenade rencontre un vieil homme qui cherche un plan de la ville. Le jeune couple l’aide, et le vieil homme pour les remercier, les invite chez lui. Là-bas, il leur raconte à quel point il est facile de se perdre, et leur montre sa collection énormissime de plans.

Sur l’un d’eux, la mention « trésor » intrigue le jeune couple… Junji Ito aime beaucoup partir d’une idée simple et la faire dériver vers un concept plus absurde. C’est une totale réussite dans cette nouvelle. Tendue sans être trop effrayante, elle peut de surcroît être une bonne porte d’entrée sur l’univers du maître pour les personnes qui souhaiteraient découvrir ses travaux sans pour autant être à l’aise avec l’horreur.

Ce qui n’est ABSOLUMENT pas le cas avec la nouvelle suivante. Décapitées, qui donne son nom au recueil laisse totalement de côté l’humour et la subtilité (encore que…) pour nous offrir une histoire morbide, flippante et gore. Un jeune homme aide un artiste local dans son atelier. L’artiste en question ne produit que des statues, extrêmement réalistes mais sans tête. L’artiste est découvert mort un matin, decapité.

Sa tête est introuvable… Décapitées fait furieusement penser aux histoires d’horreur qu’on se raconte au coin du feu. Vraiment violente dans sa forme et son fond, le talent de Junji Ito aide bien à faire passer la pilule. Cependant, malgré son côté jouissif, je la déconseille aux personnes trop sensible.

La fleur de l’âge reprend la formule du maître avec ses trois ingrédients phares : poésie, mélancolie et horreur. De jeunes filles aux physiques ingrats se mettent subitement à devenir belle. Mais cette beauté à un prix.

Le maître nous raconte derrière son récit, les affres de l’adolescence de façon très métaphorique, avec une grande pudeur et beaucoup de délicatesse. L’histoire demeure cependant vraiment angoissante et assez malsaine par moment, renforcée par une ambiance délétère, prégnante du début à la fin.

Ah Frissons ! La hantise des trypophobes. Excellente nouvelle là encore, particulièrement dérangeante (plus sur la forme que le fond d’ailleurs) proposant une imagerie bien perturbante. Dans cette histoire, un jeune homme est obnubilé par sa voisine, une jeune femme très belle qui ne sort jamais de chez elle et possédant de nombreux trous sur ses bras. Cela rappelle au jeune homme la maladie qui emporta son père…

Encore une fois, nous pouvons souligner l’intelligence de l’écriture de Junji Ito. Il est remarquable (et un peu dommage, il faut le dire) que la qualité du dessin du maître ait tendance à occulter son travail littéraire. Cette nouvelle nous rappelle à quel point Junji Ito est un magnifique conteur.

Les épouvantails nous raconte les vertus étranges d’un cimetière dans lequel des épouvantails apparaissent, prenant la forme de défunts, décédés de morts violentes et tragiques. Ligne directrice de ce volume, la qualité. Et Les épouvantails ne fait pas exception. Cette histoire de vengeance sur fond de tragédie amoureuse est vraiment addictive dans son traitement. Dans cette nouvelle, Junji Ito délaisse un peu l’horreur pour du fantastique plus traditionnel.

Dernières volontés qui vient clôturer le manga est bien plus directe avec cette intrigue de malédiction familiale. C’est une très bonne histoire, dans laquelle la fille suicidée (le thème du suicide revient souvent dans les histoires de Junji Ito, ce qui peut choquer les personnes peu à l’aise avec ce sujet…) d’une famille, revient pour tourmenter ses parents et sa sœur. Une trame d’horreur assez classique, et peut-être la plus faible du recueil, restant cependant suffisamment efficace et bonne pour le clôturer de façon satisfaisante.

Décapitées est dans son entièreté un excellent ouvrage. Aucune histoire n’est mauvaise, bien au contraire, elles sont toutes a minima bonnes, et très souvent excellentes (voire remarquables pour certaines !). Très, très bon opus de l’œuvre du maître.

Tombes

Pour faire suite à Décapitées, nous avons avec Tombes des récits du maître du milieu des années 90. Junji Ito dans ces histoires a totalement trouvé son style graphique (il avait déjà de solides bases avec le volume précédent).

Mais que contient ce manga, cette fois-ci ? Outre la toujours excellente analyse de Morolian en fin d’ouvrage et une préface de Keiichiro Toyama, nous avons un recueil qui possède un gros point communs avec le précédent : l’excellence de ses histoires. Tombes gagne même en qualité, si j’ose dire, car Junji Ito s’assume totalement. Si dans Décapitées, l’humour était assez présent, ce n’est clairement plus le cas dans ce recueil.

Ce dernier est placé sous le signe de l’horreur et de l’épouvante pure. Je ne peux que le recommander aux amateurs d’horreur, par contre les lecteurs sensibles ou peu coutumiers de l’œuvre du maître risquent de passer de mauvaises nuits ! Tombes est peut-être (tout dépendra de la sensibilité de chacun) le recueil le plus perturbant de Junji-sensei.

Pour ouvrir le recueil, Junji Ito nous présente La ville funéraire qui pose les fondations de ce que va être le reste de l’ouvrage : nihilisme, épouvante et ambiance malsaine. Il y a toujours une certaine poésie dérangeante, mais d’une noirceur absolue. Dans cette oeuvre, un frère et une sœur, se rendent en voiture chez une amie d’enfance, lorsqu’Izumi percute une jeune femme.

Celle-ci décède et le frère et la sœur décident de dissimuler son corps dans le coffre. Ils arrivent enfin dans le village d’Izumi, village étrange dans lequel des stèles apparaissent pour les défunts… On commence très fort avec cette intrigue, une pépite, qui n’est pas sans rappeler dans son ambiance le jeu vidéo Silent Hill. Excellente nouvelle, excellente exécution, car en plus de nous offrir une histoire horrifique qui fonctionne, nous avons aussi une morale sur les conséquences de nos actes… Du très grand Junji Ito.

Le QG poursuit la descente dans l’horreur, de manière plus sobre mais toujours très efficace. Yukari, Minae et Chikako sont trois amies très proches. Un jour, Chikako leur propose de visiter une maison réputée hantée…

Seules elle et Minae osent entrer, Yukari préférant les attendre à l’extérieur. Quand elles ressortent, elles semblent traumatisées par ce qu’elles ont vu à l’intérieur mais refusent d’en parler. Leur relation se détériore très vite, et Chikako semble se rapprocher d’un nouveau groupe d’amis, qui squattent la maison hantée…

Une histoire peu graphique, qui prend le temps de s’installer, mais qui s’achève de manière un peu abrupte. C’est dommage car elle est très angoissante et les retournements de situations sont vraiment bien amenés.

Mais on repart de plus belle avec La femme limace, qui rappellera certainement des souvenirs aux lecteurs de Spirales, avec cette histoire de jeune femme qui petit a petit semble se muer en limace…

Pas grand-chose à dire, car la nouvelle est assez courte, mais ça reste tout de même un petit bijou d’écriture, avec des images assez choquantes et une impression de tristesse et d’injustice tout du long. Un autre chef d’œuvre du recueil.

La fenêtre d’en face nous propose une histoire courte et cauchemardesque : une famille emménage dans une nouvelle maison. La chambre du fils donne sur la fenêtre de la maison voisine, délabrée et apparemment abandonnée, mais la nuit venue, sa voisine, une créature abjecte, essaie de venir le rejoindre. Efficace et effrayante, la nouvelle fait le travail, mais sa trop grande simplicité ne lui permet pas de se hisser au niveau des meilleurs travaux du maître.

Même souci pour La créature échouée, véritable hommage aux créatures lovecraftiennes. Une immense créature, innommable et malsaine est retrouvée échouée sur une plage.

Cette découverte attire les curieux… Très bonne histoire, qui nous interroge via un personnage sur nos phobies. Malheureusement, là encore, le récit se termine de manière sèche et apporte une conclusion en demi-teinte.

Contrairement à La lignée, qui est géniale du début à la fin. Risa est raccompagnée chez elle par son petit ami, Shuichi. Elle semble souffrir d’amnésie.

Ses parents prennent soin d’elle, mais si la mémoire ne lui revient pas, elle fait cependant d’atroces cauchemars mettant en scène une chenille monstrueuse… Extrêmement dérangeante et perturbante, dans son fond et sa forme, La lignée fait partie des meilleures histoires de Junji Ito et est clairement l’une des plus horribles.

Et après une histoire aussi qualitative, Junji Ito continue sur sa lancée et nous propose Un rêve sans fin. Nami est internée dans un hôpital, au service neurologique. La nuit, elle voit une créature horrible dans les couloirs qui vient lui rendre visite. Pour elle, c’est évident : il s’agit de la mort. Difficile de passer après une aussi bonne nouvelle que La lignée et pourtant Un rêve sans fin n’a absolument pas à rougir de la comparaison. Ce qui commence comme une aventure purement horrifique, dérive très vite sur le thème de l’expérimentation scientifique, et les monstres ne sont pas ceux que l’on croit. Un récit vraiment très triste, laissant un goût d’amertume une fois fini.

Le tunnel nous parle encore d’expérience scientifique, mais dans un registre bien plus inquiétant. Gorô retourne dans son village natal, après avoir fuît pendant vingt ans, pour revoir le tunnel qui l’effrayait…

Là, il se rappelle son histoire et l’expérience qu’il a vécu alors qu’il avait dix ans… Une excellente nouvelle, c’est habituel, mêlant folklore et technologie, dans un récit de fantômes très original. Cependant, celle-ci aurait peut-être gagné en efficacité, si elle avait été un peu plus courte.

Là, il y a quelques passages un peu longuets et répétitifs, qui hachent la lecture. Mais c’est du pinaillage, la nouvelle est vraiment bien.

Mais moins que Sculptures en bronze, nouvelle très méchante avec une antagoniste vraiment intéressante et perverse. On retrouve dans cette histoire de vieux couples créant des statues plus vraies que nature, une vibe E.C Comics (retour de karma proportionnel au crime) extrêmement plaisante.

A noter, une scène de meurtre particulièrement traumatisante, parmi les plus glauques du travail de Junji-sensei.

Idées noires est une histoire particulièrement intrigante et plaisante. Même si elle contient des éléments horrifiques, c’est de loin la plus « légère » du présent volume. Des petites boules noires, ressemblant à des fleurs de pissenlits, commencent à apparaître et pulluler dans un petit village.

Ces petites boules semblent contenir les pensées secrètes des habitants. L’un d’eux se met en tête de les chasser pour les collectionner. Cependant, sa quête le mène progressivement vers la folie. Encore et toujours, une excellente nouvelle, particulièrement singulière.

Le recueil s’achève avec Petit conte hémorragique de Shirosuna. Le jeune docteur Furuhata est convoqué par le maire d’un petit village pour soigner une étrange maladie.

Si le maire n’a pas bonne mine, ce n’est rien en comparaison du reste des habitants et de la ville elle-même. Tout semble décrépi. Furuhata, plein de bonne volonté, essaie de comprendre les raisons de cet état général. Et on conclut de fort belle manière avec cette nouvelle, qui prend un peu le lecteur par surprise.

Si au début, l’histoire prête un peu à sourire devant la candeur et la naïveté du jeune médecin (le village est en ruine et les habitants ressemblent tous à des cadavres ambulants, mais celui-ci ne semble pas inquiet !), le récit prend vite une tournure inquiétante et carrément effroyable dans son dernier tiers.

Tombes est un excellent recueil, toutes les histoires présentes valent le coup, malgré certaines maladresses parfois. Très bon, mais éprouvant pour qui n’est pas habitué. Par contre, les amateurs d’horreur se régaleront.

Frankenstein

Ce volume s’ouvre avec une préface de Joan Sfar (et s’achève avec toujours une brillante analyse de Morolian !). Dans celui-ci, nous verrons le travail de Junji Ito dans le milieu et la fin des années 90. Alors, que donne ce nouveau volume ?

Un recueil un peu particulier, puisque la première histoire tient de la novelas, Frankenstein (qui donne logiquement son nom à l’œuvre). En effet, Junji Ito s’approprie et adapte le mythe de Frankenstein et de sa maudite créature. Le maître a un grand respect pour le texte original, ne le dénaturant jamais, l’illustrant surtout grâce à son style graphique qui correspond à merveille à ce classique de la littérature gothique.

À noter d’ailleurs, que l’histoire est une adaptation du roman de Mary Shelley, ce qui peut surprendre les lecteurs qui ne l’auraient pas lu. En effet, la créature de Frankenstein et son mythe sont beaucoup plus connu de nos jours par les adaptations cinématographiques, et celles-ci diffèrent pas mal de l’œuvre originale.

Ici, point de monstre muet et violemment innocent, mais un être maudit et érudit animé par la vengeance et la haine, toutes deux engendrées par son atroce condition.

Cette histoire correspond parfaitement aux thématiques soulevées par Junji-Sensei et son talent graphique lui offre un somptueux écrin.

Et après cette magnifique adaptation, nous découvrons ni plus ni moins l’une des meilleures nouvelles du maître : Les cous hallucinés.  Derrière ce titre plus qu’énigmatique, nous avons des thèmes récurrents dans l’œuvre de Junji Ito : la vengeance et la folie (et un peu d’humour aussi, si on aime l’humour méchant !).

Et surtout, la récurrence. En effet, même si les aventures qui vont suivre n’ont de prime abord pas de lien entre elles, nous allons retrouver le même personnage : Oshikiri, mais dans des rôles différents. Les cous hallucinés en est la première partie. Oshikiri a assassiné son meilleur ami, car celui-ci devenait plus grand que lui. L’ayant enterré, il veut vérifier que la tombe est assez profonde, mais remarque que le cou de son ami s’est allongé de façon absurde… Commence alors pour Oshikiri une descente vers l’horreur, tourmenté par des visions de cous et de membres s’allongeant de façon sinistre…

Excellente histoire, dans laquelle on arrive à se prendre d’un peu de compassion pour une personne absolument détestable. Un must.

Le marais aux esprits nous raconte l’histoire d’un collégien, Kojima, star de son club de foot, et suivi en permanence par deux admiratrices. Pour qu’elles arrêtent de le suivre, il décide avec son meilleur ami, Oshikiri, de simuler sa mort, en faisant semblant de se noyer dans un marais réputé hanté…

Narration plutôt moyenne, malgré une bonne idée de départ. Se lit vite, mais ne reste pas dans les mémoires, surtout après un chef d’œuvre comme Les cous hallucinés. Cependant, si le récit est un peu bancal en tant que tel, il ne faut pas oublier qu’il n’est qu’une pièce d’un puzzle plus vaste.

À partir d’ici, je vais arrêter de résumer les aventures d’Oshikiri, puisque certains éléments des prochaines nouvelles, risquent de spoiler l’histoire globale. Nous avons donc : La correspondante, L’intrus, « Oshikiri, chronique de l’étrange » et « Oshikiri, chronique de l’étrange : les murs ».

Pour résumer et donner mon avis : si, comme je l’ai signalé précédemment, certaines histoires sont assez déroutantes, et peuvent sembler ou géniales ou moyennes, le résultat global est extrêmement satisfaisant. Il offre de sacrées visions horrifiques, Junji Ito s’aventurant dans des domaines inédits et réussissant encore à nous surprendre.

Pour continuer l’ouvrage, Junji Ito nous offre deux excellentes nouvelles horrifiques, très courtes : Les funérailles de l’enfer et Ne bougez plus. Dans la première, un père est désespéré en voyant sa petite fille se changer progressivement en poupée ; et dans la seconde, une femme devant passer un examen médical, reste enfermée dans la machine de test. Deux très bonnes histoires, vraiment plaisantes à lire…

Et Frankenstein s’achève avec deux histoires poignantes et vraiment tristes. Deux petites nouvelles autobiographiques sur la chienne du maître : Non-Non, femelle alpha et Cache cache avec Non-Non. Deux narrations très courtes encore une fois, mais remplies d’amour et de nostalgie.

Frankenstein est un ouvrage déroutant au début, mais qui est peut-être l’œuvre parfaite : tout ce qu’on aime chez Junji Ito, absolument tout, y est. Frankenstein est un indispensable absolu.

Carnage

Avec Carnage, on attaque le travail abattu par Junji Ito pendant le début des années 2000 (hormis pour la dernière histoire, datant de 2017). On attaque avec une préface de Luz et, devinez qui fait une super analyse en fin d’ouvrage ? Morolian, bravo.

Après la surprise éditoriale de Frankenstein, nous revenons sur un format plus classique avec des nouvelles courtes et sans lien entre elles, si ce n’est les frissons qu’elles procurent.

Ombres assoiffées de sang nous présente Nami, jeune femme souffrant d’anémie et au sommeil troublé par d’odieux cauchemar. Un jour, elle rencontre Tani, jeune homme maigre et souffreteux, avec qui elle va se lier d’amitié… Nouvelle plutôt sympa, sur le thème du vampirisme. L’histoire est traitée de façon originale, plaisante mais assez oubliable.

Prime Time hanté rappelle pas mal une autre œuvre de Junji-Sensei : L’école décomposée. Dans cette nouvelle-ci, nous suivons un duo d’humoristes, Les Fayottes de 20h, assez mauvaises mais qui déclenchent chez leur auditoire des fous rires incontrôlables… Comme pour la première histoire, celle-ci bien qu’assez amusante, ne restera pas dans les annales.

Le tumulte des eaux remonte clairement le niveau. Deux amis, en randonnée en forêt, sont stoppés par une rivière en crue, qui emporte avec elle des gens se noyant. Parmis eux, le visage d’une jeune fille les touche particulièrement… Une fois la catastrophe passée, ils décident de suivre la trace laissée par les eaux… Très bonne histoire, peu effrayante et assez triste, sur une boucle temporelle.

Vient ensuite Lipidémie, et si on pouvait craindre une légère baisse dans la qualité des histoires, après les deux premières, Junji Ito nous prouve qu’il en a encore sous le pied avec un pur chef d’œuvre. Une jeune fille se remémore ses souvenirs devant le mont Fuji, se rappelant son enfance entre son père et son frère, et comment lui est venu son aversion et paradoxalement, son obsession, pour la graisse. Histoire géniale, mais totalement immonde et écœurante.

Certaines scènes sont à la limite du vomitif. Dérangeante au possible, elle n’en reste pas moins l’une des meilleures histoires de Junji Ito, et certainement la meilleure du volume.

Avec Les damnés, nous avons droit à une autre histoire excellente. Des hommes commencent à se figer dans des positions étranges. D’abord peu nombreux, leur nombre augmente de façon épidémique. Asano, jeune bénévole dans une association caritative, mène l’enquête sur les raisons de ce phénomène. Comme dit, rien n’est à jeter dans cette nouvelle, le maître nous offre encore un conte dont il a le secret. Légèrement dérangeante, elle reste très accessible.

Sonnette finale est légèrement frustrante. On retrouve un travers de Junji Ito : celui de parfois avoir du mal à conclure ses histoires. Dans celle-ci, l’homme ayant agressé une famille avec une extrême violence et condamné à mort, revient d’outre tombe pour harceler les membres survivants pour que ceux-ci lui accorde leur pardon.

C’est vraiment dommage, car le récit est vraiment passionnant du début jusqu’à la fin, mais la conclusion laisse un goût d’inachevé. Par contre, ne vous y trompez pas, la nouvelle est réellement bonne.

Le val miroitant… Peut-être la plus faible de toutes les nouvelles jusqu’à présent… Pourtant, il y avait matière à faire dans cette relecture de Roméo et Juliette, avec cette guerre entre deux villages séparés par une rivière et communiquant via des miroirs… Mais malgré un concept alléchant, l’histoire ne tient pas ses promesses et tire en longueur inutilement… Elle n’est pas foncièrement mauvaise, mais malheureusement, elle n’est pas très bonne non plus… Une vraie déception.

Mais heureusement,  Je ne veux pas devenir un spectre est d’un tout autre calibre. Reprenant en base, la légende de la Dame Blanche avec cet homme qui secourt une jeune femme couverte de sang sur le bord de la route, la nouvelle dérive vite sur l’horreur la plus pure et malsaine. Incroyable et vraiment perturbante, la dernière page glace le sang !

La bibliothèque continue sur cette belle lancée. Une jeune femme épouse un homme possédant une immense maison, remplie de livres.

Celui-ci montre petit à petit un comportement de plus en plus étrange vis-à-vis de ses livres, passant de passionné à obsessionnel. Encore une très bonne histoire, peut-être un peu longue et qui aurait gagné à être un peu moins explicative, mais c’est vraiment pour pinailler.

On repart ici dans une horreur quasi gothique de la meilleure eau.

Le chant des ténèbres reprend peu ou proue la même idée que Prime Time Hanté, mais la variation autour d’un même thème (Tamayo en se promenant, croise une artiste de rue qui chante une chanson pour le moins spéciale, et qui va obséder quiconque l’entend…) est bien mieux maîtrisée dans cette nouvelle.

Contrairement à Prime Time hanté qui était assez oubliable, Le chant des ténèbres, lui, reste en mémoire, surtout grâce à une deuxième partie menée d’une main de maître.

Dernière nouvelle des années 2000 de la sélection, Pulvérisés est une histoire très sympa, sur le thème des addictions. Gojo ramène d’un voyage dans la jungle, une jarre contenant un nectar dont le goût est tellement divin que quiconque en boit trouve tout autre aliment fade et immangeable.

Le souci étant qu’outre la dépendance qu’il procure, le nectar semble réduire en bouillie ceux qui y goûtent, de manière aléatoire. Amusante, gore mais peu effrayante, Pulvérisés est une nouvelle impeccable pour conclure le volume sur une note plaisante.

Et vient alors, Stratophobie. Sorte de nouvelle bonus, présentée par une très belle page en couleur, disons-le de suite : c’est une merveille horrifique.

Suite à un terrible accident de la route qui l’a laissé défigurée, les radios de la jeune Reimi montrent qu’elle semble être composée de strates comme les arbres et les sédiments…

Cela commence à hanter les membres de sa famille. Une narration exceptionnelle, sanglante, flippante et avec un dessin absolument magnifique (on est en 2017), cette histoire ressemble presque à un hors série de Spirales, tant les thématiques ont l’air liées. Une manière parfaite de conclure le manga.

Carnage est un ouvrage un peu en dent de scie, entre chef d’œuvre et nouvelle plus moyenne. In fine, c’est toutefois l’excellence qui domine. Un très bon recueil, bien qu’un peu plus irrégulier.

Fragments d’horreur

La couverture qui pastiche Le cri de Munch, semble nous avertir : celui-ci va faire peur. Et aussi rire… Les histoires mélangent avec un brio et une efficacité sans pareil l’humour et l’horreur.

Dernier recueil (en termes chronologiques des histoires) à traiter pour l’instant, Fragments d’horreur nous propose des histoires écrites dans les années 2010.

Nous avons une préface de Joan Lainé et une postface de Junji Ito lui-même. Et bien sûr, la traditionnelle et qualitative analyse de Morolian. Et surtout, nous avons des nouvelles qui proposent un quasi sans faute !

C’est Le futon qui ouvre le bal et c’est une excellente entrée en matière. Dans cette nouvelle très courte, la jeune Madoka emménage avec son petit ami Tomio.

Mais celui-ci passe ses journées camouflé dans un vieux futon, assailli de visions cauchemardesques. Dotée d’une imagerie malsaine et absurde l’histoire est terrifiante dans sa forme, mais les aléas du couple, narrés par Madoka, apportent une touche de fraîcheur à l’ensemble. Habituez vous à ça, ce sera le cas pour quasiment toutes les œuvres de l’ouvrage.

Nous retrouvons aussi le thème de la récurrence, puisque Tomio et Madoka seront les héros d’une autre nouvelle un peu plus loin.

La charpente possédée nous propose l’histoire d’un père et de sa fille, vivant dans la maison familiale, transmise de génération en génération et accessoirement un bijou architectural. Mais leur quotidien va être chamboulé quand Manami, une étrange femme étudiante en architecture, vient leur rendre visite pour visiter la maison. Manami semble nourrir des fantasmes pour la bâtisse…

Si cette histoire est radicalement différente de la première, elle en conserve l’essence : l’humour des situations et les visions horrifiques. Elle développe aussi quelque chose d’assez rare dans l’œuvre global de Junji Ito, déjà un peu présente dans la première nouvelle et explosant dans les suivantes : l’érotisme. Attention, c’est très sage, mais le charnel s’impose quand même de manière indéniable.

Nous retrouvons Tomio et Madoka dans Tomio et le col sanglant. Si dans cette nouvelle, Tomio a quitté son futon, il se retrouve dans une situation beaucoup moins enviable : sa tête a été tranchée et ne peut rester en place que si Tomio la maintient en place avec ses mains.

Eh bien ce n’est pas original, mais l’histoire est au diapason des précédentes : drôle et horrible à la fois. Tomio, malgré son côté extrêmement agaçant, gagne notre sympathie avec sa malchance permanente (et un peu recherchée, il faut le dire!). Madoka, elle, est immédiatement sympathique, et il serait très agréable que Junji Ito poursuive les aventures de notre couple si mal assorti.

Doux adieux est atypique dans ce recueil : l’histoire n’est ni drôle, ni effrayante. Par contre, elle est mélancolique, magnifique et incroyablement porteuse d’espoir. Une jeune femme ayant perdue sa mère, rêve de la mort de son père qu’elle adore plus que tout, toutes les nuits. Son fiancé lui parle d’un rituel, familial et interdit, qui peut ramener les morts pendant une période de 20 ans…

Le récit est surprenant, avec de bons retournements de situation VRAIMENT étonnants. Une nouvelle très belle, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre de Jiro Tanigushi. Sublime.

Par contre, on repart avec Miss scalpel dans l’horreur (certaines cases sont ignobles), l’humour et le charnel, avec un bel enthousiasme : suite à un incident dans un hôpital, un jeune interne se rappelle une fille qu’il a connu plus jeune, Rukiko. Celle-ci était passionnée de médecine et particulièrement de dissection. Cette histoire est au niveau de celles l’ayant précédée : excellente. Je n’en dévoile pas trop, parce qu’elle mérite vraiment d’être découverte avec le moins d’informations possible, mais c’est vraiment une très bonne nouvelle.

Et on continue avec L’oiseau noir ! Nouvelle particulièrement bien écrite qui réussit l’exploit, en plus d’être effrayante et assez drôle (l’humour est toutefois moins marqué et plus ironique), de se révéler plutôt touchante voire émouvante.

Un homme blessé en montagne est secouru par une équipe de secours, après plusieurs jours. Pourtant malgré les blessures physiques, il ne semble pas être trop atteint par son périple. La raison ? Quelqu’un ou quelque chose a pris soin de lui… Mais la-dite chose ne veut pas renoncer à s’en occuper ! Encore une très bonne histoire, dérangeante certes, mais comme dit précédemment surtout touchante.

Magami Nanakuse me laisse perplexe. Ce n’est pas une mauvaise histoire, mais l’absurde y est poussé à son paroxysme, me rappelant par moment la fratrie Hikizuri, et je n’accroche vraiment pas à l’ambiance globale. Pourtant, l’aventure de cette romancière en herbe qui est invitée chez son idole, la grande écrivaine Magami Nanakuse, partait sous les meilleurs auspices. La narration a de très bonnes idées, des visions vraiment dérangeantes mais je suis passé à côté, malheureusement.

Et on termine avec La chuchoteuse. Mayumi, fille unique d’un homme riche, possède un tempérament assez particulier qui se traduit par des tocs violents, causant une indécision totale sur le moindre de ses choix… Pour l’aider, son père engage une aide à domicile, très douce, qui va prendre son travail un peu trop à cœur…

Aucune trace d’humour dans cette histoire et rien de charnel non plus, mais nous ne perdons rien au change avec une histoire du niveau de Doux Adieux. Plus horrifique, elle n’en est pas moins remarquable et également bercée par la mélancolie. Une manière épatante de clôturer ce recueil.

Comme vous l’avez sûrement compris, Fragments d’horreur est un banger. Toutes les nouvelles sont excellentes (même si je n’ai pas accroché à Magami Nanakuse, l’histoire n’en est pas moins intéressante) et propose même de purs joyaux. Un opus à lire absolument !

Les chefs d’œuvre de Junji Ito tome 1 et 2

Et nous terminons notre revue des recueils de nouvelles de Junji Ito avec les deux volumes des Chefs d’œuvre de Junji Ito. La revue sera courte, puisqu’il s’agit d’une compilation de ses meilleures histoires. Toutes les nouvelles présentées sont donc excellentes (même si certaines absentes auraient méritées leur place) mais il faut signaler que ce sont pour la plupart des doublons d’histoires parues dans d’autres opus. Celles qui sont pour l’instant inédites apparaîtront tôt ou tard dans d’autres recueils et je préfères les traiter à ce moment là, dans leur ouvrage originel.

Faut-il pour autant délaisser cette compilation ? La réponse est simple : non !

Déjà, comme je l’ai dit, toutes les histoires présentées dans ce double volume sont exceptionnelles. Et par conséquent, la porte d’entrée parfaite pour découvrir l’œuvre du maître.

De plus, les mangas sont, comme d’habitude chez Mangetsu, particulièrement magnifiques surtout dans le coffret réunissant les deux ouvrages et qui offre une lithographie de La lignée. Nous avons aussi deux préfaces bien sympathique, l’une de Maghla et l’autre d’Alt 236… et surtout, surtout nous avons des postface de Junji Ito lui-même, qui commente la quasi intégralité des nouvelles présentes.

Et cela, pour toute personne s’intéressant un tant soit peu au travail de Junji Ito, représente des archives inestimables. Le coffret s’adresse donc autant au collectionneur qu’à l’amateur voulant découvrir le travail du mangaka.

Pour conclure, après cette rétrospective de ses nouvelles, on s’aperçoit que l’immense majorité des œuvres de Junji Ito est tout bonnement excellente. Il y a très peu d’histoires moyennes et aucune vraiment mauvaise.

Le tout est toujours proposé dans de magnifiques éditions, et nous ne pouvons que remercier Mangetsu et Delcourt Tonkam pour nous faire découvrir cet univers gargantuesque et formidable dans des conditions aussi sublimes.

J’espère ne pas avoir été trop rébarbatif, et je vous donne rendez vous à la prochaine parution !

Et si l’horreur vous manque, pourquoi ne pas continuer avec le jeu horrifique Corpse Party ?

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